L’expérience de l’incendie du Parlement de Rennes

Incendie du Parlement de Bretagne les 4 et 5 février 1994 ; la toiture embrasée du Parlement va s'effondrer. © Stephanus, Wiki-rennes Métropole.
Incendie du Parlement de Bretagne les 4 et 5 février 1994 ; la toiture embrasée du Parlement va s’effondrer. © Stephanus, Wiki-rennes Métropole.

Sauver les hommes et les œuvres

Dans la nuit du 4 au 5 février 1994, après une journée d’émeutes, le Parlement de Bretagne brûle : c’est le symbole de la Bretagne qui part en fumée. Toutes les équipes des monuments historiques (CRMH et ABF), du ministère de la Justice et du musée des Beaux-Arts de Rennes sont à pied d’œuvre dès la nuit du sinistre. Grâce à leur excellente connaissance des lieux, ils guident les pompiers dans leur lutte pour sauver ce qui peut l’être1 . L’architecte en chef, Alain-Charles Perrot arrive le matin à la première heure pour diriger le chantier.

Le 5 au matin, les équipes s’installent sur place pour contacter les entreprises et les restaurateurs, faire étayer, bâcher, déposer les toiles et les objets gorgés d’eau, évacuer les dossiers judiciaires, au fur et à mesure de l’avancée des pompiers. Une des rues adjacentes est fermée afin de pouvoir les stocker provisoirement. Puis, elles sont dirigées vers des lieux plus pérennes : toute cette chaîne est désormais bien connue des RUS (responsable unique de sécurité) et des CRMH (conservations régionales des Monuments historiques), prévue dans les PSBC plan de sauvegarde des biens culturels, mais c’est peut-être la première fois en 1994 qu’elle est expérimentée de façon si massive.

Tous les ingrédients sont présents : personnel qualifié et connaissant les lieux pour guider les secours et connaissant les entreprises aptes à intervenir, lieux de repli, organisation de la chaîne logistique, mobilisation sur la durée d’équipes des différentes administrations, puis passage des marchés pour résoudre progressivement l’urgence. Bien que sans PSBC, tout s’est organisé dans le plus grand calme.

Incendie du Parlement de Bretagne les 4 et 5 février 1994 ; le palais du Parlement après le désastre de l’incendie : une carcasse à ciel ouvert. © Archives de Rennes.100FI192, Stephanus, Wiki-rennes Métropole.

Il faut souligner que le service des Monuments historiques est hélas habitué des catastrophes : les guerres mondiales ont nécessité protection contre les bombardements des édifices majeurs, comme la cathédrale de Reims (cf clichés de la MPP2 ), mobilisation des entreprises qualifiées pour déposer vitraux et grandes œuvres, mise en place de dépôts avec retrait progressif vers l’arrière en fonction de l’avancée du front… puis chantier de repose. Rappelons, s’il en est encore besoin, l’exemplarité de Rose Valland dans le domaine de la spoliation des œuvres d’art, qui rejoint, grâce à sa méthodique documentation des œuvres, de leurs départs et destructions, nos préoccupations.

De façon plus large, les institutions internationales (Unesco, ICRROM et ICOMOS) ont depuis longtemps mis en place des outils méthodologiques d’aide à la décision et à l’organisation de la protection des biens culturels en cas de sinistre (tremblement de terre, inondations, guerres) : Cynthia Rockwel, Simon Lambert, Protecting Cultural Heritage in Times of Conflict, ICCROM , 20123 ; Unesco, Urban Search and Rescue at Heritage Sites, 2023, pour ne citer qu’eux. L’association internationale de professionnels de la conservation, le Blue Shield, et sa déclinaison française depuis 2001, le Bouclier bleu, mettent en place méthodologie, formations et interventions pour protéger le patrimoine en cas de sinistre de tous ordres.

Peut-on donc considérer les mesures prises lors de l’incendie du Parlement comme précurseurs des PSCBC ? C’est sans doute cette expérience douloureuse, qui a permis de réfléchir à leur mise en place, avant que le drame de Notre-Dame de Paris n’en démontre l’efficacité. Mais les PSCBC sont avant tout un outil qui permet de penser au sinistre avant que le drame n’arrive : penser aux accès, dialoguer avec les SDIS (service départemental d’incendie et de secours), se connaître, organiser précisément les lieux de repli, le matériel pour protéger les œuvres et les transporter… Ils sont aussi un vrai support dans des événements stressants. Les exercices grandeur nature sont aussi essentiels, pour nos services, qui, toujours en surcharge, pourraient facilement remettre au lendemain. Ils sont essentiels aussi parce que tout ne se passe pas toujours comme prévu : au cœur de Rennes, avec des équipes qui, habitant en ville, ont pu se rendre sans souci sur les lieux, des œuvres ont pu être sauvées. Dans d‘autres circonstances, en pleine période de congés, avec des collègues non familiers des lieux, en serait-il allé de même ? C’est tout l’intérêt des PSCBC, qui permettent d’y suppléer.

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